mardi 1 juillet 2008

Caroline Eliacheff et René Frydman : Mères porteuses, à quel prix ? (le Monde du 1er juillet 2008)


Légaliser la gestation pour autrui au service des couples infertiles est une forme de prostitution
Au fond, de quoi s'agit-il ? Tout simplement de faire un enfant. Mais encore ? Un enfant génétiquement de soi. Et pour y satisfaire quand on n'y arrive pas à deux, on n'hésiterait pas à faire courir des risques à de nombreuses personnes. Comment ? D'abord en pratiquant une fécondation in vitro (FIV) avec les ovules de la femme dépourvue d'utérus et le sperme de son compagnon. Puis en transférant l'embryon ainsi obtenu dans l'utérus d'une femme porteuse. Ce qui compte, c'est l'enfant de soi, de ses gènes.
Mais derrière la souffrance des couples qui ne voient d'autre solution pour enfanter que la gestation pour autrui, on ne peut pas ne pas remarquer la survalorisation de la génétique. Elle s'inscrit dans une définition de l'individu par ses seuls gènes, qui ouvre la porte au renfermement sur soi ou à des pratiques contestables, comme on l'a vu pour les tests ADN. On revient au pedigree plus qu'à la mixité et à l'ouverture sur l'autre.
Cette démarche est différente de l'adoption, du parrainage, du don de sperme, d'ovule ou d'embryon, qui relativisent l'apport de la génétique pour valoriser la parentalité dite « d'intention ». On ne peut comparer, comme le font certains, la gestation pour autrui aux dons de gamètes sans ajouter à la confusion des repères.
La mère est celle qui accouche, mais l'enfant peut avoir une parentalité multiple. La grossesse n'est pas un simple portage, c'est une expérience fondamentale qui façonne les deux protagonistes : la future mère et l'enfant en gestation. On découvre à peine la complexité et la richesse des échanges entre la mère et l'enfant in utero. Ce ne sont pas des élucubrations de psychanalystes. Les chercheurs scientifiques de toutes les disciplines n'en sont qu'au début de leurs découvertes concernant les mécanismes de ces échanges et leurs conséquences.
 Même les animaux n'y échappent pas : les embryons d'étalon portés par une solide jument se retrouvent avec des caractéristiques repérables de la jument porteuse. Faut-il, au nom de la filiation génétique, organiser la venue au monde d'enfants portés par une femme dont le travail psychique conscient et inconscient consistera à pouvoir l'abandonner ? On peut imaginer son ambivalence si, comme il est prévu, elle garde la possibilité de se rétracter à l'accouchement et les conséquences pour l'enfant d'une rétractation... Faut-il, au nom de la souffrance de parents infertiles, croire que l'amour peut tout, et réduire ces échanges à... rien ?
L'inégalité - vécue comme une injustice - devant la fertilité est mise en avant par certains pour justifier la gestation pour autrui pour les couples infertiles. C'est oublier qu'en matière de vie en général et de procréation médicalement anonyme (PMA) en particulier, on est dans le règne de l'injustice : à ce jour, la moitié des couples qui ont recours à la FIV n'auront pas d'enfant. On peut certes espérer améliorer cet état de fait, mais il y aura toujours des limites.
S'adjuger douze mois de la vie d'un être humain, ce n'est pas rien ! Une grossesse, ce n'est pas toujours simple, et une mère porteuse n'est à l'abri ni d'une fausse couche, ni d'une césarienne, ni de complications, ni de porter un enfant malade, ni d'un baby blues. Ses propres enfants devront intégrer l'idée que l'enfant qu'elle porte n'est pas un frère ni une soeur, qu'il n'a pas été conçu avec leur père et qu'il sera (aban)donné à une autre famille dès la naissance. La société peut-elle exposer de la sorte ces enfants au bon vouloir de leur mère ? Et le couple ? Et le mari ? Messieurs les députés, que diriez-vous si votre femme vous annonçait qu'elle allait porter un enfant pour un autre couple ? Mesdames les députées, allez-vous donner l'exemple ?
N'est-ce pas une forme majeure d'aliénation du corps de la femme ? La principale motivation est et restera une motivation économique liée ou non à une réparation psychique, consciente ou non, qu'il paraît douteux d'encourager. Il y a sûrement de par le monde des prostituées libres de choisir l'usage qu'elles veulent faire de leur corps, mais la très grande majorité sont exploitées et n'ont pas le choix.
Il n'y a qu'à regarder les offres financières faites aux mères porteuses - qu'elles aient eu ou non des enfants - pour comprendre que la régulation n'est qu'un cache-misère et que les dérapages sont inscrits dans la démarche même de légaliser cette forme de prostitution au nom de la souffrance des couples qui ne peuvent procréer mais qui peuvent payer. Certes le tourisme procréatif existe. Dans ce contexte, tenir sur des positions de principe paraît rétrograde. Mais les contraintes dont on veut se débarrasser au nom de la liberté des uns et des autres sont autant de remparts contre les dérapages.
Certes, des enfants de parents français ont été portés par une femme californienne ou ukrainienne. Les parents ont agi en connaissance de cause, mais font pression sur la justice française - au nom du bien-être de l'enfant -, sujet sensible s'il en est, pour faire reconnaître la filiation. Si l'on considère que la mère est celle qui a accouché, l'enfant qu'elle a abandonné ne pourrait-il être adopté par le couple qui a l'intention de l'élever et qui se trouve être les parents génétiques ? Manière de ne pas faire comme s'il ne s'était rien passé. Car, aujourd'hui, l'enjeu que pose chaque technique de procréation assistée est de savoir s'il est possible ou non de l'humaniser en instituant la parenté sans confusion sur les origines.
Ces réflexions intéressent la société tout entière et, au premier chef, les parents qui veulent à tout prix un enfant, dont on dit, à tort, qu'il n'a pas de prix.

Caroline Eliacheff,René Frydman