mardi 5 octobre 2010

Laurence Rossignol : Mères porteuses : pourquoi je suis opposée à la légalisation

Gestation pour autrui ! Bien plus vendeur que les mères porteuses. En langage courant, pour désigner un état qui envahit et transforme le corps des femmes, on dit grossesse. Gestation, c'est nettement mieux. C'est scientifique, désincarné. Ça fait procréation assistée, éprouvettes et blouses blanches.
Pour autrui ? C'est le don. Un geste pour l'autre. Un peu de générosité au royaume de l'individualisme.
L'expression « mère porteuse » met mal à l'aise. Par définition, la mère ne peut être porteuse et la porteuse renonce à être mère. Alors comment définir la femme, mère biologique ou non, enceinte puis accouchant d'un enfant qu'elle va confier à d'autres ? Sa fonction étant de porter, il était simple de l'appeler porteuse. On aurait pu l'appeler aussi couveuse, dépôt-ventre, mijoteuse…
Le tour de magie, et de génie, a été de la faire disparaître. On ne la nomme plus, elle est absente de l'évocation, invisible. On parle nouvelles parentalités, intérêt de l'enfant, filiation.
La révision des lois bioéthiques donne l'occasion aux associations favorables à la GPA de faire valoir leur point de vue. Leur argumentation est articulée. Evolution des modes de vie, des familles, des sexualités… Ce qui fonde le droit d'être parent est l'amour qu'on a à donner. Et il y a tant d'amour disponible sur la planète qu'on trouve même des femmes qui, par empathie, vont mettre des enfants au monde pour d'autres.
Une fois, ces postulats posés, la controverse s'éteint.

ESQUIVER LA QUESTION DE LA MARCHANDISATION DU CORPS HUMAIN

Encadrer pour prévenir les abus ? C'est bien le moins ! Déterminer le montant de l'indemnité que recevra la gestatrice pour autrui ? Une question technique. L'absence de discrimination ? Elle est cohérente avec l'engagement de toute la gauche en faveur de la reconnaissance de l'homoparentalité.
La belle architecture de l'évidence et du consensus doit cependant son équilibre à une pièce essentielle : la conviction partagée, d'une part que les mères porteuses sont exclusivement mues par l'envie de rendre service et, d'autre part que la loi permettra de détecter et prévenir les abus. Les abus, marginaux, désignant les femmes qui candidateraient pour l'argent plutôt que par amour ou encore les couples qui seraient prêts à payer davantage que l'indemnité légale.
Faire admettre que la gestation de substitution est un acte altruiste permet d'esquiver la question de la marchandisation du corps humain et plus spécifiquement du corps des femmes. C'est une fiction, voire une manipulation !
Certes, il existe des poissons volants mais ce ne sont pas les plus nombreux. Sans doute, des femmes se font mères porteuses par don de soi, mais la grande majorité des femmes prêtes à louer leur ventre a en commun l'extrême misère.
Celles qui se proposent sont issues des mêmes pays pauvres et les parents vivent dans les mêmes pays riches. La demande est grande, les couples stériles et homosexuels très nombreux, la pauvreté qui garantit l'offre n'est pas près de se tarir.
Dès lors, le rôle du législateur est-il simplement de moraliser le marché ? N'est-il pas aussi de délimiter le champ du marché, de dire ce qui n'est pas cessible, ce qui échappe par nature à toute forme de transaction ?
Les disparités législatives entre les différents pays européens sont souvent convoquées dans le débat pour justifier la légalisation. Pourquoi interdire ici, ce qui est accessible ailleurs ?

TANT QU'ON POURRA ACHETER, LOUER OU VENDRE LE CORPS DES FEMMES

L'interdiction serait une machine à créer des enfants au statut juridique incertain puisque, droit ou pas, ils naissent. Pire encore, la prohibition créerait le trafic et provoquerait de graves inégalités entre les parents qui peuvent payer pour contourner la loi et ceux qui n'en n'ont pas les moyens.
C'est probablement vrai, mais pour que la légalisation mette fin aux pratiques clandestines, encore faudrait-il que la demande ne soit pas supérieure à l'offre, ce dont on peut douter.
La controverse sur la légalisation de la GPA ne peut se caricaturer en une opposition entre modernes et archaïques ou pragmatiques et dogmatiques.
Nous sommes nombreux à ne voir dans la légalisation de la GPA ni progrès humain, ni liberté individuelle ou publique nouvelle. Nous constatons une banalisation et une extension de l'usage et de la commercialisation des fonctions sexuelles et reproductives qui pourrait, comme le souligne Sylviane Agacinski, (« Corps en Miettes », Flammarion) « transformer l'ancienne servitude en travail social moderne ».
Admettre le commerce de la fonction reproductive, c'est admettre une appropriation sociale du corps des femmes pour consoler la souffrance des couples stériles. Il est fondé de s'y opposer. Il s'agit de rappeler que tant qu'on pourra acheter, louer ou vendre le corps des femmes, l'égalité entre les sexes demeurera inaccessible. Il s'agit aussi de prendre la mesure de la révolution anthropologique à l'œuvre et la portée symbolique des atteintes à la dignité humaine que peut entraîner la dissociation achevée de la sexualité et de la procréation.