Danièle Jourdain Menninger
Professeure associée à l’université de Paris-1 Panthéon-Sorbonne (*)
Dans la perspective de la révision des lois de bioéthique, le débat se durcit entre les partisans et les adversaires de la gestation pour autrui ou, pour la compréhension de tous, de la légalisation de la pratique des mères por¬teuses. Or l’interdiction est la règle. Le Code civil, en intégrant la première loi de bioéthique de 1994, prévoit que le corps hu¬main, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial, que les conventions ayant pour effet de confé¬rer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles, de même que toute convention por¬tant sur la procréation ou la gestation pour autrui.
Les grandes institutions telles que le Conseil d’Etat, l’office par¬lementaire des choix scientifiques et technologiques, l’Agence de la biomédecine ou le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé se sont récemment pro¬noncées contre toute modification de l’état de droit. Le débat traverse les partis politiques, de droite comme de gauche.
Confortés par le progrès médical laissant à penser que « tout devient possible », les partisans de la légalisation des mères porteuses défendent une position qui serait justifiée par l’im¬périeuse nécessité d’encadrer des pratiques qui, de toute façon, seraient appelées à se multiplier. Si l’on suit leur approche, il s’agit, pour le droit civil, de répondre à une demande sociale du « droit absolu à l’enfant », dans une vision « moderne, progres¬siste » de la société. On encadrerait ce qu’ils définissent comme un don, même s’ils reconnaissent qu’il faut prévoir une com¬pensation financière, en tant que réparation économique d’un service rendu.
En réalité, ce serait une régression pour la société et pour les droits des femmes.
Imposture juridique. La légalisation des mères porteuses, sous prétexte d’encadrer des dérives, constitue une imposture juridique, car elle ne saurait résoudre les conflits inévitables entre le couple commanditaire et la mère propriétaire de son utérus. Il resterait toujours des difficultés potentiellement dra¬matiques pour l’un comme pour l’autre, si les personnes chan¬gent d’avis au cours de la grossesse ou lors de l’accouchement, ou en cas de désaccord ultérieur sur la rémunération. C’est un leurre de penser que la demande sociale et la règle de droit doi¬vent toujours s’accorder. La légalisation ne servirait qu’à vali¬der juridiquement le fait accompli, sous prétexte que d’autres pays autorisent cette pratique. Pourtant, la situation varie lar¬gement selon les pays : la Belgique, le Royaume-Uni, l’Ukraine, la Russie ou la Grèce y sont favorables, de même que certains Etats américains, l’Argentine, le Brésil ou l’Iran, alors que la Suisse, l’Autriche, l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne interdisent les mères porteuses.
Le débat n’est pas celui de pseudomodernistes face à de pseudo-archaïques, pour ou contre un « droit absolu à l’enfant », sans qu’à aucun moment les conséquences psychologiques pour la mère biologique et pour l’enfant n’aient été analysées.
Surtout, il s’agit d’un marché procréatif, et non d’un don dans le cadre de rapports humains devenus altruistes. La gestation pour autrui peut constituer une source de revenus pour les femmes pauvres des pays développés, solution alternative ou complé¬mentaire aux emplois à domicile qui restent souvent la seule opportunité pour celles qui sont au chômage. De plus, au plan international, et dans un cadre mondialisé, on assiste à une ex¬ploitation des uté¬rus des femmes pauvres des pays du Sud au profit des berceaux des couples riches des pays du Nord. Il ne faut pas croire que la légalisation de cette pratique, en France, pourrait mettre fin au trafic actuel entre les pays du Nord et ceux du Sud. Les intérêts marchands sont bien là, entre les sites, les agences et les firmes, entre les pays, entre les couples com¬manditaires et les utérus des femmes à louer. Mais les pratiques déviantes ne peuvent en aucun cas justifier une dérive éthique.
Enfin, la référence abusive au droit à l’interruption volontaire de grossesse, avancée par les partisans de la légalisation de la pratique des mères porteuses, ne doit pas nous abuser : ce se¬rait une régression pour les droits des femmes, devenues ainsi mères – forcément mères –, par une exploitation marchande de leur utérus. Ce serait une régression sociétale conçue dans une optique libérale reposant sur le « tout est permis puisqu’il s’agit de lever une interdiction », étape supplémentaire dans la confusion des valeurs, de l’argent et de l’éthique pour ce qui n’est qu’un système de « location-ventre ».
(*) Et ancienne conseillère au cabinet de Lionel Jospin.
« C’est un leurre de penser que la demande sociale et la règle de droit doivent toujours s’accorder. »